
Son réalisme politique heurte. Mais Ousmane Ngom, pour ceux qui le connaissent, agit à la fois avec froideur et passion.
Ousmane Ngom : le mal dominant
A l’évocation de son nom, les sourcils se froncent, les faces se raidissent, les bouches entament leur moue et du bas du ventre leur tombe un soupir enragé. Ousmane Ngom, sauf pour quelques bons connaisseurs de l’homme et de son parcours, suscitent presque partout rejet et indignation. Sans doute pour son parcours pour le moins compliqué. Certainement pour ses prises de position tranchées.
Récemment encore, quand il accuse l’opposition de vouloir organiser un coup d’Etat. Ses ennemis y sont allés goulument et lui ont rappelé ses propos d’hier. « Le diable d’hier devient avec lui immédiatement un ange pour peu qu’il le mette à l’abri », ont-ils vite souligné. Ancien Ministre de l’Intérieur à la pratique féroce et répressive, Ousmane Ngom nourrit une animosité non pour ce qu’il est mais pour ce qu’il fait et qui heurte l’éthique et le bon sens. Vous avez beau rappeler à ses ennemis jurés que c’est Macky Sall lui-même qui, à l’occasion des condoléances rendues à son ancien frère, lui a demandé de venir travailler à ses côtés. Ils vont diront que cette mise en scène n’est que l’aboutissement d’un scénario longtemps médité : quand Macky Sall, de manière surprenante, viole l’interdiction de quitter le territoire qui frappe Ousmane Ngom, pour s’envoler avec lui en Guinée. L’opinion s’en était émue, d’autant plus que Monsieur Ngom était sous le coup d’une interdiction du Procureur de la CREI, dans le cadre de poursuites pour lesquelles Karim Wade est aujourd’hui emprisonné. Ses anciens frères du Pds le considèrent désormais comme un traître. Une énième fois ?
C’est en effet sous l’ombre de leur leader Abdoulaye Wade, qu’Ousmane Ngom s’est fait. « Made by Wade », avait-il dit un jour. Une formation commando à la dure, avec un discours musclé et des pratiques qu’il a dit regretter un jour. Presque sans interruption, Ousmane Ngom est de tous les combats, de 1986, date de son retour à Dakar après sa formation de juriste en France, qui lui a permis d’intégrer le barreau de Dakar. Ousmane s’est formé au fer, dans cette forge gigantesque qu’était le Pds, véritable chaudron social dans lequel chacun savait quoi faire. Les professeurs les plus émérites comme Fara Ndiaye, Marcel Bassène, Serigne Diop y côtoyaient les plus grands délinquants de la pègre dakaroise comme Bouba Chinois ou de petits besogneux comme Pape Samba Mboup, Clédor Sène, Assane Diop, qui sont montés en grade assez vite pour devenir les artificiers du parti. Ousmane avait surtout le mérite, quand Idrissa Seck ne le pouvait pas, d’évoluer sur tous les registres. Quand, en mai 1993, le correspondant de RFI, Nicolas Baliq, est tabassé et laissé pour mort au domicile de Wade, c’est Ousmane Ngom qui se fend d’un communiqué pour justifier la punition. Il a un discours offensif et querelleur, ce que son physique permet de faire. Ousmane est une véritable armoire à glace, une montagne interminable. Sa stature géante en impose et dissuaderait les plus coriaces. A l’Assemblée nationale, il use de toutes ses armes et de ses bras aussi, en vient aux mains avec Abdourahim Agne, l’intellectuel socialiste qu’il détestait.
Tout change, ou presque. Le deuxième Ousmane sort du premier quand Abdoulaye Wade, à l’entrée du Pds dans le Gouvernement dit de majorité, le propose au poste de ministre du Travail et de la Formation professionnelle. Le jeune Ousmane découvre un monde qu’il ne connaissait pas, prend goût au pouvoir mais surtout, se révèle un bon ministre. Le Président Diouf le félicite, l’adoube. Et la première Dame de l’époque découvre, derrière cette montagne de muscles, un homme doux et généreux. Elle devient amie avec la seconde épouse d’Ousmane, Aline Corréa. Celle qu’il épouse en secondes noces, après son premier amour, Sophie Ndiaye, qui n’a pas su lui faire des héritiers.
La rupture
Tout commence à se gâter quand, au Pds, Idrissa Seck tire sur les ficelles, pousse pour le départ du Gouvernement. « Ousmane pensait qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour quitter le Gouvernement. En réalité, il avait pensé que dès que l’importation des véhicules « venant » a été libéralisée, Idrissa Seck ne voulait plus rester au Gouvernement. Entre temps, Ousmane était devenu le chouchou de Diouf, la star du Gouvernement au poste de ministre de la Santé. Si le premier départ du Gouvernement, en 1993, se justifiait par son contexte, celui de 1998 trouvait raison à ses yeux. Ousmane démissionne du parti avec une trentaine de cadres, crée un le Parti libéral sénégalais (PLS), et retrouve deux autres anciens du Pds, Serigne Diop et Jean Paul Dias. Mais ses relations avec Wade s’étaient déjà refroidies. Idrissa Seck était entré en grâce et en amour. Sa position de ministre du Commerce en a fait un des grands contributeurs financiers du Pds. A l’opposé d’Ousmane Ngom. « Un jour, Wade a appelé son Directeur de cabinet, Momar Diop, pour lui dire ceci : parle à ton ami, il est assis sur une mine et il mange des cailloux ».
La rupture sera violente, brutale et ouvrira une période épistolaire d’une rare inconvenance. Wade, le géniteur politique, reçoit de son « fils Ousmane » un coup dur. D’autant plus dur qu’aux yeux de nombreux amis, Ousmane est le véritable fils de Wade, celui qu’il aurait aimé avoir. « Le vieux a déclaré un jour que si Ousmane et Karim tombaient d’un immeuble en même temps, il ouvrirait ses bras pour Ousmane. Deux longues années de douleur, que Wade supporte par un exile en France.
Vient enfin le retour triomphal, le moment tant attendu. Le camp socialiste que Monsieur Ngom avait choisi dans le cadre de la coalition Convergence patriotique, au détriment de son camp naturel, perd le pouvoir et le père humilié devient président président de la République.
Il n’est pas question pour Ousmane Ngom de ne pas réclamer sa part de combat. Rodant aux alentours du PDS à qui il avait donné un coup de pied, changeant de discours envers Wade, il transforme son discours de fuel en langage de miel. Wade lui donne alors « un marché de faubourg » en en faisant Ministre du Commerce avant de lui donner un bâton pour les sales coups : il devient Ministre de l’Intérieur, endossant sans état d’âme le manteau de Goebbels et le casque de Staline.
Il fut ainsi, selon le journaliste Momar Dieng, « le Ministre de l’Intérieur le plus violemment répressif de l’histoire politique du Sénégal ». Il réprime. Il proscrit. Il interdit toute expression démocratique publique. Il arrête tout et tous, confirmant Victor Hugo : « Quand on ne croit en rien, on est prêt à tout faire ».
Et que de mal n’a-t-il fait ? Son règne est évoqué en plusieurs maux : affaire Mamadou Diop, lacrymogènes à la Zawiya Seydi Hadji Malick Sy sur l’avenue Lamine Gueye, et quoi d’autre encore !
Etre avec Wade et perdre le pouvoir
Ses détracteurs pensent qu’Ousmane Ngom est un politicien avec qui on ne gagne jamais le pouvoir et on ne le conserve pas mais on le perd. Il ne porte nulle part la chance à l’homme pour qui il prétend agir. Il a intégré le régime de Diouf et celui-ci tombe avec lui en 2000. Il virevolte et rejoint le vainqueur Abdoulaye Wade qu’il avait quitté et combattu. En 2012, ce dernier tombe également avec lui. Faux, rétorquent ses défenseurs infatigables : Ousmane a gagné avec Wade en 2007. On l’oublie ? En général, il est victime de ses choix, de ses convictions, qui sont souvent des choix sentimentaux. Ousmane est un sentimental, c’est son problème. Il ne pouvait pas quitter Diouf, parce que Diouf s’était montré gentil avec lui. Aujourd’hui, le fait que Macky se soit déplacé chez lui, pour lui présenter des condoléances a tout changé. C’est la seule raison », avancent-ils. Toujours est-il que leur mentor suscite de véritables réserves, pour dire le moins.
Aminata Touré qui comprend cette grogne aussi bien des militants et responsables que de la société civile avertit qu’adhérer à « l’APR n’est pas un vaccin contre les poursuites judiciaires ». Venant de l’ancienne Ministre de la Justice et ancien Premier ministre l’avertissement peut bien être crédible. Mais le problème est Macky Sall : il ouvre les portes de son régime à des gens du PDS dont les noms sont directement rattachés à la prédation des finances publiques et à la tortuosité. Awa Ndiaye, Innocence Ntap Ndiaye, Bailla Wane… Au point que de larges franges de l’opposition se questionnent légitimement : la CREI servait-elle juste à emprisonner Karim Wade ? Une chose est presque certaine, à 61 ans, Ousmane Ngom est plus proche des portes du Gouvernement que de la prison.
Madior Salla

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